La France doit donc poursuivre ses efforts technologiques afin de maintenir l’ascendant. Comme le soulignait l’amiral Prazuck, cela impose « d’intégrer plus vite que nos compétiteurs des technologies plus performantes ». Car la concurrence est plus qu’acharnée avec les États-Unis, bien sûr, première marine du monde, mais aussi « l’empire du Milieu » qui se constitue une marine de première classe pour contrôler son espace maritime, sécuriser son économie maritime et aller au-delà, dans la haute mer, sans oublier la Russie, puissance continentale s’il en est, mais qui a toujours misé sur la technologie pour contrer la supériorité navale de ses concurrents, Amérique en tête. À ce titre, les technologies de rupture dans des domaines variés tels la bulle A2/AD, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, les sous-marins d’attaque nucléaires ou conventionnels, les missiles hypersoniques « tueurs de porte-avions » illustrent cette stratégie tournée contre les groupes aéronavals américains, mais aussi vers la sécurisation de la route maritime du Nord, en Arctique et, il ne faut pas l’oublier, vers l’Atlantique nord où l’OTAN opère.
Pour la Marine nationale, il s’agit aussi d’apporter une réponse adéquate aux capacités « nivelantes » développées par des acteurs non étatiques. Il y a quelques années, le chef d’état-major de la Marine avait observé une intensification dans le détroit de Bab el-Mandeb, séparant Djibouti du Yémen, des attaques de drones de surface chargés d’explosifs et téléguidés menées par des acteurs non étatiques, disposant de peu de ressources, « sans commission de défense, sans Direction générale de l’armement, sans base industrielle et technologique de défense ».
Dès lors, dans cette nouvelle géopolitique des océans, la France semble redécouvrir le « fluide ». La Marine, pilier de la dissuasion nucléaire grâce à sa force océanique stratégique (Alfost), est bien sûr au premier rang. La LPM 2019-2025 et son volet naval, le plan Mercator, en témoignent.
Le vice-amiral d’escadre Jean-Louis Lozier, préfet maritime de Brest, explique que ce plan Mercator doit moderniser l’outil militaire et permettre à la France d’obtenir une supériorité technologique. Les grands projets de la Marine du futur mentionnés dans ce plan sont déjà avancés : SCAF (système de combat aérien du futur), SLAMF (système antimines du futur, déjà en phase de test), PATMAR (avion de patrouille maritime) du futur.
Selon le député Jacques Marilossian, « 2020 est le socle de l’actualisation de la programmation militaire » avec, comme point d’orgue, le porte-avions nouvelle génération, dont la construction aura des impacts sur l’aéronavale, mais aussi sur les forces de surface et les forces océaniques stratégiques.
Porte-avions de nouvelle génération
À quoi ressemblera-t-il ? Quel nom portera-t-il ? Nul ne le sait. En mai dernier, Florence Parly, en déplacement aux Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire, a toutefois confirmé que le porte-avions de nouvelle génération (PANG), qui remplacera le Charles de Gaulle, opérationnel jusqu’en 2038, devrait être mis à la mer pour ses premiers essais en 2036 et sera construit par les Chantiers de l’Atlantique, « les seuls chantiers capables de construire un navire d’une telle taille et d’un tel tonnage », a précisé la ministre.
Qu’en est-il du budget ? « La loi de programmation militaire prévoit le budget des études et, lorsque le président de la République aura pris ses décisions, l’essentiel des moyens destinés à la construction de ce nouveau porte-avions figurera dans une prochaine loi de programmation militaire », a expliqué Florence Parly.
Ce projet de PANG est en réalité un outil de la stratégie française, qui repose sur la souveraineté industrielle et technologique et l’indépendance militaire. Il est aussi un symbole fort de coopération européenne, car ce porte-avions devra intégrer le fameux système de combat aérien du futur (SCAF), fleuron technologique porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne.
Plusieurs études étalées sur 18 mois ont été menées par la Direction générale de l’armement (DGA), la Marine nationale, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Naval Group, les Chantiers de l’Atlantique, Dassault Aviation, MBDA, Thales et TechnicAtome. Ces études étaient relatives au design, aux besoins opérationnels, à l’intégration des futures technologies, aux nouvelles menaces dans des environnements complexes, au rôle du groupe aéronaval avec l’évocation d’une flotte reposant sur deux porte-avions.
D’ores et déjà, nous savons que ce PANG sera plus grand et plus lourd que le Charles de Gaulle : 280 mètres et 70 000 ou 75 000 tonnes contre 261 mètres et 42 500 tonnes. Ces mensurations ont été dictées par le programme SCAF, Next Generation Fighter lui-même plus lourd que le Rafale (35 tonnes contre 24). Le gabarit massif du PANG, mais aussi l’autonomie et la flexibilité requises pour l’accomplissement des missions plaident pour une propulsion nucléaire. Que ce soit pour les SCAF, mais aussi les avions de surveillance ou les drones, notamment le futur drone de combat UCAV (drones en essaims), une piste oblique équipera le PANG. Les brins d’arrêt et les deux catapultes seront plus longs que ceux du porte-avions actuel (90 mètres contre 75). Suivant les évolutions technologiques américaines, les deux catapultes seront probablement électromagnétiques (EMALS ou Electromagnetic Aircraft Launch Systems) et non plus à vapeur ou un système CATOBAR (Catapult Assisted Take Off But Arrested Recovery). D’ailleurs, on peut s’étonner que le système EMALS soit mentionné, car il est contradictoire avec l’objectif d’autonomie stratégique. Toutefois, les Américains ayant décidé de stopper la production du modèle à vapeur, ils ne laissent guère de choix aux Français : s’aligner ou produire eux-mêmes les catapultes à vapeur.
En ce qui concerne la propulsion, c’est bien le nucléaire qui semble avoir été choisi, car il offre de nombreux avantages : opérationnel, soutien de la filière, prestige (la France et les États-Unis sont les seuls à disposer de ce type de propulsion). La technologie de la chaufferie sera de type K22, soit une évolution de la K15 (150 MW) qui équipe les SNLE Triomphant. Cette montée en puissance est rendue nécessaire par les nombreux besoins énergétiques à bord, mais aussi par les deux catapultes électromagnétiques, grandes consommatrices d’énergie.
Mais le coût d’une telle propulsion pourrait mettre fin à l’idée de deux PANG. Or cette question de la permanence d’un porte-avions sur les mers du globe est capitale dans un environnement stratégique changeant, avec la multiplication des sous-marins et les avancées technologiques dans le domaine des missiles antinavires supersoniques et hypersoniques.
Pour ce qui est du radar, il est prévu d’équiper le PANG du radar numérique SeaFire de Thales, capable de balayer à 360o les informations sur un rayon de 400 kilomètres. Installés dans le mât d’un navire, notamment les toutes nouvelles Frégates de défense et d’intervention (FDI), les quatre panneaux composés de capteurs analysent en 3D l’environnement du bâtiment pour détecter tout ce qui s’y trouve. Le radar gère également la conduite de tir. Pierrick Etiemble, directeur général systèmes de mission et de combat de Naval Group, a indiqué que la décision du tir et le choix de la riposte « resteraient malgré tout pilotés par un humain et non par l’intelligence artificielle ». Très évolutif, le SeaFire peut détecter et cibler des engins très véloces. En outre, il s’adapte au fur et à mesure de l’évolution technologique des équipements militaires. Il est enfin capable de réagir face aux missiles, drones ou planeurs hypersoniques, indique Thales.
Le président de la République devrait décider si le programme PANG comprendra non pas un, mais deux bâtiments. Le rapport d’information réalisé au nom de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées, et rendu le 24 juin dernier, indique clairement que le débat sur la possibilité de construire deux PANG doit être ouvert : « Le second exemplaire bénéficierait d’économies d’échelle, de l’ordre de 30 à 40 %, même si ce point reste à confirmer par les études réalisées ; surtout, il permettrait d’assurer une permanence d’alerte du groupe aéronaval, alors que la disponibilité du Charles de Gaulle est de 63 %. »
Cet outil stratégique et opérationnel d’avant-garde, « 75 000 tonnes de diplomatie », serait un atout indéniable pour la France et offrirait une contribution à la défense européenne. Si un porte-avions européen n’a finalement aucun sens, un groupe aéronaval européen est un objectif crédible qui permettrait à l’Union de gagner en autonomie stratégique.
Pour autant, la Marine est confrontée à un véritable problème, qui n’est d’ailleurs pas matériel ou capacitaire. Il est humain. En 2018, elle avait recruté 3 400 marins sur les 3 800 nécessaires. Le député Marilossian avait d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme. La Marine s’est également rendu compte que les conditions de vie à bord, parfois difficiles, sont en décalage avec la vie et les souhaits d’une génération ultraconnectée.
La Royale s’est donc attelée à la tâche et a décidé d’améliorer les conditions de vie des marins embarqués avec des solutions Internet de loisirs. Ce projet a été baptisé « Internet Welfare » et comporte trois volets :
• Internet haut débit en mer avec expérimentation de liaison satellite (projet N@Vybox) ;
• le projet « 4 G Connect », qui doit permettre l’accès Internet en escale et en navigation côtière ;
• projet d’Internet à quai au port base dans le cadre du « plan familles » qui vise à offrir une connexion Wi-Fi aux marins à bord des unités.