DefTech

Marine nationale : l’innovation pour garder l’ascendant

Le projet « Internet Welfare » comporte un volet cybersécurité qui traite des aspects réglementaires et de la maîtrise de l’information.
Grâce à un effort budgétaire important, l’amiral Prazuck avait réussi à maintenir un haut niveau opérationnel et à préparer la Marine du futur. Le déclassement tant redouté avait été évité. L’amiral Vandier veillera au calendrier des livraisons des nouveaux matériels et à la bonne marche des projets de rupture : nouvelles frégates, nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque, patrouilleurs, missiles hypersoniques, etc. Le nouveau chef d’état-major de la Marine a insisté sur le point crucial qui est de « permettre à l’ensemble des forces de la marine de se projeter dans le combat de demain ». Il a ajouté qu’une opération « n’est plus un bateau en mer, mais une plateforme dans un environnement complexe, qui inclut l’espace et le champ numérique ». La « créativité tactique » doit intégrer les navires dans ce que les Américains appellent des opérations multidomaines.

<strong>Innovations pour les forces spéciales</strong>

La visière pare-éclats

Dans un éditorial consacré à l’ophtalmologie de guerre, le médecin en chef Corine Dot donnait les particularités de cette discipline : « L’œil représente 0,27 % de la surface corporelle, mais son atteinte constitue plus de 15 % de l’ensemble des blessures dans les conflits les plus récents. Proportion en augmentation constante depuis le début du siècle, puisqu’elle passe de 2 % de blessés oculaires durant les Première et Seconde Guerres mondiales à 13 % durant la guerre du Golfe et à plus de 18 % lors du conflit en Afghanistan. »
C’est la raison pour laquelle un officier du commando Jaubert, l’une des sept unités des commandos marine, a imaginé une visière pare-éclats imprimée en 3D.

© Marine nationale

Le prototype de cette visière a été développé par le Fuscol@b et ID Composite, société et centre technique et de formation polymères et composites. Son but est d’améliorer l’ergonomie des optiques balistiques et d’assurer l’autonomie et la capacité opérationnelle du soldat.

En effet, avec les casques courants, de la condensation apparaît sur les lunettes balistiques lors d’efforts physiques. De plus, les lunettes photochromiques nécessitent quelques secondes d’adaptation lors de la transition entre un environnement lumineux et un environnement sombre. Or ces secondes peuvent être cruciales pour les soldats. Enfin, les visières pare-éclats actuellement en service ne peuvent pas être utilisées simultanément avec des jumelles de vision nocturne.

L’officier du commando Jaubert et ID Composite travaillent sur l’intégration d’un étui sur le casque balistique afin d’y ajouter la visière pare-éclats puis une visière teintée. Ces visières seront rétractables indépendamment l’une de l’autre. Elles seront également antirayures et antibuée, et équipées d’une fixation pour jumelles de vision nocturne. Si les essais sont concluants, ces visières intégreront un viseur tête haute (VTH) pour la lecture de données en temps réel.

Le Kraken : un bateau révolutionnaire

Au mois de juillet dernier, lors des Rencontres de l’innovation dans le secteur de la défense, la société Turgis & Gaillard a dévoilé le prototype d’un nouveau genre d’embarcation destinée aux forces spéciales et aux commandos marine. Le Kraken utilise la «  flottabilité variable », véritable « rupture technologique » selon Turgis & Gaillard, qui permet « plus d’efficience énergétique et une meilleure stabilité » et un ajustement du tirant d’eau en fonction de la vitesse ou de l’état de la mer.

Long de 9,5 mètres, pouvant accueillir 12 commandos et un pilote, le Kraken peut naviguer à la vitesse de 50 nœuds (90 km/h) en restant stable, sur une distance de 250 nautiques (450 km), tout en étant très discret grâce à une propulsion électrique (2 × 200 kW). Sans bruit, avec une très faible signature thermique, cette embarcation permet aux commandos marine d’effectuer des missions d’infiltration sans être repérés.

© Turgis & Gaillard

La stabilité du Kraken, due à des foils, permet de mettre en œuvre un tourelleau téléopéré à haute vitesse. Enfin, l’embarcation est adaptable selon le « milieu ». Elle peut par exemple débarquer une escouade et du matériel sur une plage. Le Kraken permet de remplir différentes missions : infiltration, interception, renseignement, contre-terrorisme, assaut, etc.

<strong>Marine 4.0</strong>

Ils se nomment Gimnote ou Orion. Ce sont les clusters d’innovation navale qui rassemblent des industriels et des start-up autour des enjeux navals pour développer des innovations bénéfiques à la Marine nationale.

Depuis quelques années, des réflexions ont été menées pour faire évoluer le développement des commandes d’armement. Le processus classique prévoyait que les autorités militaires fournissent un cahier des charges à un industriel et veillent à son respect. Ce fonctionnement a été jugé trop rigide et de moins en moins adapté aux nouveaux enjeux en matière de défense qui nécessitent beaucoup plus de rapidité et de flexibilité.

Telle est la raison d’être du cluster Gimnote, créé à Toulon, qui rassemble la Marine nationale, l’antenne locale de la Direction générale de l’armement (DGA), des industriels de l’armement, des start-up. L’objectif est de travailler sur l’innovation navale et de bâtir la Marine du futur.

Gimnote rassemble donc la Marine, la DGA et System Factory, association qui fait partie de Toulon Var Technologies. System Factory réceptionne les projets, monte les dossiers et les présente au comité de pilotage, dont Naval Group est membre.

Les solutions touchent surtout le domaine des systèmes à logiciels prépondérants, comme la cybersécurité, l’intelligence artificielle, les systèmes de conduite ou de combat. Gimnote travaille notamment sur une table tactile qui permet d’assurer la gestion des aéronefs sur le pont d’envol. Thales, pour sa part, réfléchit à l’utilisation d’hologrammes dans la guerre des mines.

Gimnote, c’est aussi la nouvelle « tablette de combat ». Il s’agit d’un écran de 49 pouces, multi-utilisateurs, « une sorte de Google Maps dans lequel on ajoute des couches sur la situation opérationnelle du bâtiment, et des outils d’analyse avant, pendant, et après l’instant “T ” de l’environnement », explique Michel Cresp, PDG de Systemique, sous-traitant de Naval Group pour ce projet. Cette tablette tactile et tactique équipe déjà le Charles-de-Gaulle.

En Bretagne, le cluster ORION (Organisation pour la recherche et l’innovation opérationnelle navale) rassemble la DGA, la Marine nationale le Technopôle Brest Iroise, l’ENSTA (École nationale supérieure de techniques avancées) Bretagne et l’École navale. Ses missions sont de détecter, d’orienter, d’expérimenter les innovations contribuant à l’excellence technologique de la Marine nationale et à sa supériorité en déploiement opérationnel et d’en accélérer l’intégration.

Ce sont donc aussi ces clusters d’innovations qui font de la Marine nationale une marine 4.0.

Légende de la photo en première page : Commandos marine équipés du prototype de visière pare-éclats. © Marine nationale

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Boris Laurent

Spécialiste des questions de Défense, coordinateur éditorial du magazine DefTech.