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Défense et énergies renouvelables

Défense, sécurité et opérations extérieures sont-elles compatibles avec énergies renouvelables ? Oui, si l’on en croit les efforts déployés par les armées occidentales qui cherchent à réduire leur empreinte énergétique sur l’environnement et à faire des économies, tout en maintenant leurs capacités opérationnelles.

Les chiffres sont édifiants. Le Department of Defense (DoD) américain est l’un des plus gros consommateurs d’énergie au monde. En 2007, il consommait à lui seul 93 % du carburant du gouvernement américain, soit 17 milliards de litres, ce qui représente environ 48 millions de litres par jour. En 2017, s’il était un pays, le DoD se serait classé 49e des plus polluants au monde en termes d’émissions de dioxydes de carbone. Face à l’urgence, la marine américaine a entamé dès 2014 des recherches pour trouver des solutions alternatives au kérosène. En 2016, elle s’est obligée à utiliser au moins 50 % de biocarburant et d’énergies renouvelables pour alimenter ses équipements, ses installations et ses navires. Elle a également créé une flotte de combat expérimentant des biocarburants : la Great Green Fleet.

Transformer de l’eau de mer en kérosène

En 2013, le DoD américain a indiqué que la sécurité de la force et la stabilité budgétaire pouvaient être garanties par les énergies renouvelables. Il a ainsi lancé plusieurs programmes pour déployer des énergies alternatives dans les installations militaires, les bases sur les théâtres d’opérations extérieures et les véhicules, bâtiments et avions. En 2013, l’armée américaine a d’ailleurs indiqué que le changement climatique était une réelle préoccupation.

C’est dans ce contexte que des chercheurs de la marine américaine ont réussi à transformer de l’eau de mer en carburant. L’objectif est double : lutter contre le réchauffement climatique et diminuer la dépendance de la Navy au pétrole et, d’une manière plus large, aux énergies fossiles.
Les hydrocarbures sont composés de carbone et d’hydrogène, des éléments présents en grande quantité dans l’eau de mer. L’objectif est de capturer le dioxyde de carbone et l’hydrogène dans l’eau de mer pour produire du kérosène de synthèse pour les bateaux et les avions. En 2014, les chercheurs du Naval Resarch Laboratory (NRL) de l’US Navy ont réussi à faire voler un petit avion alimenté en kérosène de synthèse.

Le vice-amiral Cullom, chef d’état-major de l’US Navy à l’époque, a indiqué qu’il s’agissait d’une « étape énorme » pour diminuer la dépendance de la marine au pétrole et pour limiter les impacts des variations des prix. Or la marine américaine consomme énormément de carburant : deux millions de tonnes en 2011. La NRL espère produire du kérosène de synthèse pour un coût compris entre trois et six dollars le gallon (3,8 litres).

Heather Willauer, chimiste au sein du NRL, expliquait en 2014 : « Pour la première fois, nous avons été capables de mettre au point une technologie pour capturer de façon simultanée le CO2 et l’hydrogène contenus dans l’eau de mer et d’en faire un carburant liquide, c’est une percée importante. »

Techniquement, le CO2 et l’hydrogène sont capturés par électrolyse puis liquéfiés et enfin transformés en hydrocarbures. Le carburant de synthèse a la même apparence et la même odeur que le kérosène ! Son énorme avantage : il est utilisable dans les avions et les navires sans qu’il soit nécessaire de modifier les moteurs.

Ce nouveau carburant doit apporter des solutions opérationnelles. Comme l’a indiqué le vice-amiral Cullom, dans la Navy, « nous n’allons pas à la station-service pour nous ravitailler, c’est la station-service qui vient à nous par le biais d’un pétrolier ou d’un navire de ravitaillement ». Ce nouveau kérosène doit permettre de raccourcir la chaîne logistique.

Si les porte-avions américains sont nucléaires, le reste de la flotte fonctionne encore au kérosène traditionnel. L’objectif, d’ici à quelques années, est de faire en sorte que la plupart des bâtiments de la Navy produisent leur propre carburant à bord.

La Great Green Fleet

Depuis 2016, l’US Navy expérimente « grandeur nature » l’utilisation des biocarburants et d’innovations énergétiques au sein de la Great Green Fleet, constituée autour du porte-avions John C. Stennis et de son strike group (JCSSG).

Le JCSSG utilise des sources d’énergies alternatives et a mis en place des mesures d’économie d’énergie (energy conservation measures ou ECM). Les ECM sont un ensemble de procédures opérationnelles ou de changements dans la configuration de matériel, mis en place pour accroître l’efficacité des plates-formes énergétiques. Selon le commandant Mainor, servant à bord de l’USS William P. Lawrence, « dans son ensemble, ces mesures d’économie d’énergie nous permettent d’être opérationnels plus longtemps et de mieux faire notre travail. La marine a été en première ligne de l’innovation énergétique, du charbon à la vapeur et au pétrole. Il ne s’agit que d’une nouvelle mesure prise par la Navy qui va de l’avant avec l’innovation énergétique ».
Les croiseurs et destroyers lanceurs de missiles USS Mobile Bay, USS Chung-Hoon, USS Stockdale et USS William P. Lawrence qui opèrent dans la zone indo-pacifique, utilisent du fioul alternatif, dont du biofioul. Le fioul alternatif est notamment constitué de 10 % de suif de bœuf fourni par les fermiers du Midwest.

Dans les bâtiments du JCSSG, les ampoules à filaments électriques ont été remplacées par des éclairages LED d’une durée d’éclairage de 100 000 heures contre 100 heures auparavant. D’autre part, les croiseurs et les destroyers disposent d’un rabat à la poupe qui modifie le flux de l’eau sous la coque du bâtiment et permet à ce dernier de réduire sa résistance. En outre, la coque du Mobile Bay est protégée par un revêtement spécial qui empêche les organismes et les crustacés de s’y accrocher. La résistance étant plus faible, les navires font des économies de carburant.

Un mouvement plus large malgré l’administration Trump

D’une manière générale, et malgré l’administration Trump, le DoD déploie d’immenses efforts pour remplacer son énorme consommation de carburant par des énergies renouvelables. Mais la première raison n’est pas forcément celle que l’on croit. Car il ne s’agit pas pour le DoD de s’attaquer frontalement au problème du réchauffement climatique. L’utilisation des énergies renouvelables doit avant tout permettre de sauver des vies, celles des « boys ».

Tout le monde a en mémoire l’attaque de l’USS Cole, en 2000, par des membres d’Al-Qaïda qui ont tué 17 soldats américains alors que le navire faisait le plein de carburant au Yémen.
En mer, les navires kérosène-électrique économisent du carburant et sont donc moins souvent obligés de s’arrêter pour leur ravitaillement, et donc de s’exposer.

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Boris Laurent

Spécialiste des questions de Défense, coordinateur éditorial du magazine DefTech.