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Projet « Manhattan » : maintenir la suprématie de l’US Navy

Au début du mois d’octobre, l’US Navy a lancé un nouveau projet de puissant réseau ultraconnecté appuyé par une architecture de données et des outils d’analyse. L’objectif est double : soutenir l’US Navy dans ses opérations et garantir la domination maritime des États-Unis face à la Chine.

Le chef des opérations navales, l’amiral Gilday, a nommé le vice-amiral Douglas Small pour mener à bien ce projet appelé « Overmatch ». De l’avis même de ce dernier, c’est le plus important après celui de sous-marins lanceurs d’engins de classe Columbia.

L’autre projet « Manhattan »

L’amiral Gilday a ainsi indiqué : « Au-delà de la recapitalisation de notre moyen de dissuasion sous-marine, il n’y a pas de plus haute priorité en cours de développement au sein de l’US Navy. Tous les efforts sont faits pour nous soutenir. Notre objectif et de permettre à la Navy d’essaimer la mer, de délivrer des actions synchronisées létales et non létales, sur zone, de près et de loin, à partir de n’importe quel endroit et dans tous les domaines. »

Par le passé, la mise en place de ce puissant réseau naval était appelée par l’amiral lui-même « projet Manhattan », en référence au développement rapide de la bombe atomique dans les années 1940. Mais derrière l’urgence de l’effort déployé pour créer ce réseau, se cache à peine la crainte pour la Navy de se voir surclasser par la marine chinoise qui dispose déjà d’un plus grand nombre de navires. L’amiral Gilday a justement souligné que la capacité de la Navy d’établir et de maintenir le contrôle des mers était en danger.

Mais il a ajouté : « Je suis convaincu que la diminution de ce risque dépendra de l’amélioration du Distributed Maritime Operations avec la formation d’équipes humaines/non humaines qui exploiteront l’intelligence artificielle et le machine learning. En revanche, je ne suis pas convaincu que nous bâtissions l’architecture opérationnelle navale qui connectera cette future force aussi rapidement qu’il le faudrait. » Ce réseau de la marine devrait être connecté à celui de l’Air Force, le Joint All-Domain Command and Control.

Saturer et user le renseignement chinois

Le vice-amiral Small a débuté sa carrière, qu’il a effectuée dans le domaine de la guerre électronique, comme officier de surface puis est devenu officier ingénieur en 1997. Il souhaite développer un concept d’opération et de chaîne de tir cohérent basé sur le principe « un capteur, un tireur », c’est-à-dire que chaque élément verrouillé par un capteur est immédiatement transféré à un bâtiment ou à une plateforme qui devra le détruire par un tir de missile.

L’amiral Gilday a toutefois estimé que la Navy devait rapidement se mettre en ordre de bataille pour bâtir un tel réseau. « Le plus grand défi pour nous est d’associer l’ensemble du command and control. Nous construisons des armes en réseau, des plateformes en réseau et des capteurs de command and control en réseau, mais nous n’avons pas de réseau adéquat ; or c’est la pièce la plus importante. »

La marine américaine a travaillé sur le concept d’opérations reliant les navires, les avions et les plateformes autonomes grâce à des capteurs de communications en relais (de la taille du petit drone à celle d’un navire de combat), comme la future frégate ou encore l’appareil high-tech E-2D Hawkeye.

L’idée directrice est de répandre une force sur une large zone et non de garder un petit groupe autour d’un porte-avions, afin de mettre la pression sur le renseignement chinois, de le saturer, et d’user ses outils de reconnaissance. Chaque élément de cette force – navire ou avion – en réseau et dispersée pourra intervenir pour détruire tout intrus repéré par un capteur.

Ce concept a en fait poussé le développement de missiles à très long rayon d’action. Mais pour que cela fonctionne, tous les éléments doivent être reliés les uns aux autres au sein d’un réseau de communication fiable. Or, d’après la marine, l’architecture actuelle n’est pas assez efficace pour remplir ce rôle, donnant par ailleurs un avantage aux Chinois et aux Russes qui investissent massivement dans la guerre électronique et seraient capables d’interférer dans les communications de l’US Navy.

<strong>Le plan de la Navy pour contrer la Chine</strong>
« Face à la suprématie numérique de la marine chinoise, l’US Navy « affiche la couleur » avec un projet totalement démesuré : plus de 500 navires à l’horizon 2050 grâce à une rallonge budgétaire de 60 milliards de dollars.

Pour inverser le rapport de force, de hauts gradés de la marine américaine ont récemment publié un rapport qui remet à plat toute l’organisation de la flotte américaine pour les trente ans à venir. L’objectif : passer la barre des 530 navires en 2050.

Pour atteindre ce but, la marine compte beaucoup sur les drones, les navires et les sous-marins autonomes. Ainsi, la flotte américaine du futur serait surtout composée de bâtiments légers, adaptés aux affrontements côtiers, et de moins de grands navires de type super-porte-avions. Il faut dire que l’US Navy en possède onze, record absolu ! En 2050, ce nombre devrait être ramené à neuf.

Mais pour obtenir ces 60 milliards, il faut l’aval du Congrès. Si ce dernier donne son feu vert, la marine serait la deuxième branche de l’armée américaine la mieux dotée avec 200 milliards de dollars, derrière l’Army et ses 245 milliards.

Pour Mark Esper, le secrétaire d’État à la Défense, « une flotte de 500 navires est absolument nécessaire pour que l’US Navy puisse surmonter les obstacles de demain. C’est un défi puisque notre marine doit aussi atteindre cet objectif dans le respect du budget alloué à nos armées ».

Malgré tout, au sein de la Navy, beaucoup d’officiers redoutent ce changement de cap et pensent qu’une flotte largement composée de navires plus légers ne sera pas de taille face à la marine chinoise.

Légende de la photo ci-dessus : Destroyer USS Porter. © US Navy

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Boris Laurent

Spécialiste des questions de Défense, coordinateur éditorial du magazine DefTech.