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L’intelligence artificielle modèlera-t-elle la guerre du futur ?

L’intelligence artificielle (IA) suscite énormément d’intérêt au sein des grandes puissances qui se livrent une course effrénée pour son développement et son contrôle, notamment dans le domaine militaire. Mais la guerre moderne est complexe, et celle de demain le sera encore plus. L’IA pourrait dès lors devenir une variable garante de victoire.

À quoi ressemblera la guerre du futur ? Les grandes puissances cherchent la réponse pour mieux anticiper les combats à venir. Pour l’heure, personne ne sait à quoi ressembleront les champs de bataille de demain. Pour autant, le « brouillard de la guerre » se dissipe par moments et laisse entrevoir ce à quoi pourrait ressembler un conflit dans un avenir plus ou moins lointain. Dans les multiples scénarios envisagés, il y a pourtant une constante : la technologie. En réalité, le futur semble déjà présent : numérisation du champ de bataille, univers immatériel du cyberespace, espace, armes autonomes, etc. Les exemples abondent.

Il y a quelques décennies encore, une attaque menée par des essaims de drones pilotés hors du champ de bataille ou agissant de manière autonome était un scénario de science-fiction. Aujourd’hui, les conflits en Libye et dans le Haut-Karabagh ou la récente attaque à Jammu, dans le Cachemire, nous rappellent que tout est maintenant possible.

La technologie est devenue un moteur clé rythmant les évolutions sociétales et sociales. C’est également vrai dans le domaine militaire. Les grandes puissances tentent de maîtriser plusieurs technologies comme le quantique et le domaine spatial pour remporter le rapport de force et garantir leur supériorité. L’IA semble tenir une place de choix dans cette quête de puissance. Vladimir Poutine avait d’ailleurs indiqué : « L’intelligence artificielle représente l’avenir non seulement de la Russie, mais de toute l’humanité. Elle amène des opportunités colossales et des menaces imprévisibles aujourd’hui. Celui qui deviendra le leader dans ce domaine sera le maître du monde ».

D’une manière générale, la technologie est devenue un élément indispensable sur l’échiquier international. Elle est garante de puissance et façonne la guerre moderne. Elle permet aux armées de faire face à des défis de plus en plus complexes. Dans ce contexte, l’IA façonnera peut-être la guerre de demain.

Une technologie très convoitée

Les États et leurs institutions militaires tentent d’identifier les secteurs où l’IA pourrait jouer un rôle déterminant. Car l’introduction de cette technologie pourrait faire passer la guerre d’un conflit mécanisé et spécialisé à un affrontement robotisé, intelligent et numérisé. Les États poussent leurs armées à exploiter les technologies intelligentes pour prendre l’avantage sur les futurs champs de bataille.

La Chine illustre parfaitement cette quête de supériorité par la technologie et notamment l’IA. Le 10e Livre blanc sur la défense chinoise publié en 2019 souligne l’importance de l’innovation et les impacts que pourront avoir les technologies de rupture. En fait, ce Livre blanc est le premier du genre à mettre en avant le concept de « guerre des intelligences ». Il s’agit d’une nouvelle forme de conflictualité au sein de laquelle les technologies dites émergentes, comme l’IA, permettront à l’Armée populaire de libération de compenser l’avantage militaire américain et de remporter la victoire. Les investissements de Pékin dans ces technologies et l’IA sont massifs et doivent permettre de garantir la souveraineté technologique de la Chine et de poursuivre la révolution dans les affaires militaires. D’ailleurs, le pouvoir central impose des fusions contraignant les entreprises civiles à travailler avec le secteur de la défense dans ces domaines.

Amélioration des capacités militaires, aide à la décision plus rapide dans un contexte très dense de circulation rapide de l’information, les promesses de l’IA sont nombreuses. L’intégration de l’IA dans les opérations peut améliorer la logistique, l’administration, la maintenance, l’entraînement ou le management du personnel. Sur le champ de bataille, l’IA peut gérer la fameuse boucle OODA ou cycle de Boyd, à savoir « Observe, Orient, Decide and Act » pour prendre rapidement l’ascendant sur l’adversaire, ou aider les grandes formations à se déployer plus efficacement et à mieux préparer et contrôler les opérations.

Surtout, elle peut être salvatrice dans le traitement des données. La maîtrise de la donnée, c’est-à-dire la capacité à la capter, à l’identifier et à l’analyser est un nouveau nerf de la guerre. L’IA permet de traiter des données au-delà de ce que l’humain peut accomplir. Dans un environnement stressant, où l’information circule très rapidement et massivement, elle offre un atout considérable. Dans ce nouveau paradigme qui se dessine, avec également les sphères cyber et espace, aux côtés duquel il y a toujours le champ de bataille physique, l’IA peut représenter la nouvelle génération d’armes.

Pour un usage raisonné de l’IA dans les armées

Mais mettre des systèmes d’IA qui seront toujours vulnérables dans des domaines contestés et leur confier des décisions critiques peut aussi avoir des résultats désastreux. Qu’il s’agisse de fuite (leurrer l’IA), d’extraction ou d’« empoisonnement », les systèmes d’IA sont très vulnérables.

Aussi l’humain doit-il rester le seul responsable pour les décisions les plus importantes. C’est en tout cas ce que pense le Modern War Institute américain qui, en outre, rappelle que les progrès dans le domaine militaire et spécifique du combattant sont encore lents.

Dans la mesure où il est certain que les systèmes d’IA seront attaqués par un adversaire et qu’ils seront peu résilients, les secteurs les plus intéressants pour le déploiement d’une telle technologie ne seront pas « critiques » au sens stratégique et opérationnel. Ces domaines seront ceux supervisés par les humains et avec des données entrantes et sortantes sécurisées (imagerie médicale ou maintenance prédictive). Ces domaines sont de véritables valeurs ajoutées pour les armées et, en même temps, ils sont moins vulnérables aux attaques adverses ou aux fausses données. Ils ne sont pas les super outils spectaculaires vantés par les promoteurs de l’IA, mais ils sont probablement ceux qui connaîtront le plus de succès dans un avenir proche. En ce sens, l’IA modèlera la guerre du futur, mais d’une manière moins spectaculaire, moins sur le champ de bataille lui-même que dans des domaines critiques à l’arrière.

Légende de la photo ci-dessus : Les données représentent aujourd’hui de l’or en barre pour les armées. La capacité à les capter, à les identifier et à les analyser est le nouveau nerf de la guerre. © Shutterstock

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Boris Laurent

Spécialiste des questions de Défense, coordinateur éditorial du magazine DefTech.